Cela n’aura sans doute pas échappé aux professionnels du livre et aux lecteurs avertis que vous êtes : cette année est le cinquantième anniversaire de la mort d’Albert Camus…et dans le village à côté du mien, dans l’Héraut, vient d’être inaugurée la « Médiathèque Albert Camus » de Clapiers. [Soso n'est plus de Marseille, mais de Montpellier maintenant!]
Cette médiathèque est un bâtiment flambant neuf, de 1232m² exactement, idéalement situé à l’entrée de village de Clapiers, facile d’accès avec un parking, à côté d’un axe routier emprunté par les habitants des villages alentours qui travaillent à Montpellier. Un signe architectural fort donc, mais surtout une propagande à peine déguisée de la communauté de communes puisque seule l’enseigne géante « Montpellier agglomération », à l’arrière du bâtiment, est visible depuis le rond point. Je m’étais dit « admettons, c’est de bonne guerre…la culture est un acte politique ».
Dès l’ouverture, je me suis inscrite avec enthousiasme, au plein tarif de 10 €, en faisant fi de la réduction du pass ‘agglo! Je venais de m’offrir à prix modique un passeport pour la culture sur le chemin entre la maison et le travail. J’me voyais déjà, en sortant du travail, aller lire la presse, féminine ou internationale selon l’humeur, emprunter un DVD, une comédie musicale américaine ou un film d’auteur selon la fatigue, et peut être même rencontrer des personnes avec qui j’aurais eu des centres d’intérêts communs. En un mot, ou plutôt un néologisme à la mode: « sociabiliser ».
Aussi, quelle ne fût pas ma déception lorsque j’ai découvert, incrédule, juste après m’être inscrite qu’il n’y avait pas de banque de prêt ni de retour ! La lectrice que je suis doit enregistrer elle-même ses retours et ses prêts grâce à des bornes automatisées. Et me voilà transformée de lectrice enthousiaste à lectrice en colère ! Non pas que je ne sois pas capable d’utiliser ces bornes, je sais lire et suivre les instructions sur un écran, mais d’une part : ça me fait royalement chier d’avoir affaire à une borne informatique alors que mes journées de travail se passent seule et face à un écran d’ordinateur ; d’autre part : cela exclut les lecteurs moins familiers avec ces technologies et il faudra de toute façon les aider (j’ai observé hier qu’un enfant de 8 ans, le bras dans le plâtre, était plus à l’aise, qu’une dame valide ayant passé la 60e) et enfin : quelle différence y-a-il entre un loueur de DVD par exemple et une médiathèque…si ce n’est la qualité du fonds et le conseil ?
Je ne m’exprime pas en tant que professionnelle du livre, ce n’est pas mon métier, mais en qualité d’usager. Je réfute tout de suite, presque violemment, l’argument qui m’a été servi « nous ne sommes plus à la banque prêts/retours, qui le samedi a des allures de caisse de supermarché, pour être au service des lecteurs dans les salles ». En effet, dans chaque salle il y a une banque très haute, qui oblige les bibliothécaires à être juchés sur un tabouret haut ou à rester debout, avec un poste informatique. Cela met le lecteur en position d’intimidation si ce n’est d’infériorité. L’argument pourrait tenir si les bibliothécaires maitrisaient leur fonds en réalisant, par exemple, qu’il manque l’intercalaire 9.94 mais que le CD est bien dans le bac ou en n’allant pas consulter le site de la FNAC pour retrouver une référence.
Je ne comprends pas ce choix qui, de mon point de vue, déshumanise la médiathèque qui devient un lieu de consommation puisqu’il n’y a plus d’échange. A ce point, qu’hier, je n’ai eu à dire ni « bonjour » ni au « revoir » à qui ce que ce soit, et même pas à échanger deux trois mots puisque la seule information qu’il fallait me donner, à savoir : il n’est possible dorénavant d’emprunter qu’1 seul DVD au lieu de 2 DVDs par carte, j’ai du la lire sur une affichette ! Et j’étais seule à la borne. Je ne saisis pas la différence avec d’aller en vitesse à Carrefour, pour 2 articles précis, et de passer aux caisses automatisées avec paiement par carte bancaire. Je n’ai rien appris, rien découvert…j’ai consommé : 1 DVD et 1 CD dont j’avais les références !
A ce stade de la lecture, si vous m’avez suivie !, vous devez vous demander : « comment le lecteur fait-il ses réservations ? », réponse : par Internet ; « comment est-il prévenu que le document réservé est disponible ? », réponse : par SMS ; « comment le lecteur peut-il faire une suggestion d’achat ? », réponse : par Internet ; « comment le lecteur est-il informé des animations de la médiathèque », réponse : par courriel. Parce ce que c’est bien connu, et là je ne peux m’empêcher cette digression (Elo fera des coupes si elle veut !) tous les foyers français sont équipés d’Internet et tous les abonnés de bibliothèque ont un téléphone portable ! Allez, je vous l’accorde : j’exagère le trait puisque toutes les « ménagères de 40 ans et plus » ont un téléphone portable sauf moi et que tous les villages de l’est de l’agglomération de Montpellier ont intégrés récemment la zone de dégroupage ! Et c’est sans compter qu’à « bobo land » on est écolo tout en étant suréquipé en haute technologie…alors, effectivement , je ne vois pas où le bât blesse.
Et Albert Camus dans tout ça ? Ben… Albert, il est très beau sur la photo, clope au bec, à l’entrée de la Médiathèque…une chance que les lobbies anti cigarette n’aient pas réalisés qu’on avait placardé ce portrait là de Camus, et pas un autre, sinon ils auraient fait retoucher la photo ! S’il n’avait pas roulé aussi vite dans sa voiture, sans ceinture ni airbag dans les années 60, qu’il en est mort, il serait sans doute peu ravi de constater que son œuvre écrite est exposée dans le hall d’entrée, à côté de la porte des chiottes, avant les portes vitrées automatiques donnant accès à la bibliothèque. Une mise en valeur archaïque dans une vitrine plate horizontale, le degré zéro de la scénographie, pour un hommage médiocre…et Camus n’est plus un grand écrivain français mais devient une affiche de pub, une marque, un sigle…comme au supermarché.
*SO*
pS n° 1 : …de mentionner qu’il y avait une bibliothèque municipale à Clapiers qui est fermée depuis l’ouverture de la médiathèque…et une lectrice du village, constatant que tous les documents sont flambants neufs, de demander où étaient les livres de l’ancienne bibliothèque et la collection de DVD offert par un lecteur…Réponse : au pilon ! C’est quelque chose que je n’ai jamais compris…passer au pilon des livres ! Je sais qu’il ya une question de vétusté du fonds et qu’on ne peut pas déséquiper des livres pour les donner…mais quand même il devait bien y avoir des livres « récupérables » ! C’est, là encore, une logique de consommation…me semble-t-il…
ps n°2 :
Que les seuls journaux en langues étrangères sont VOCABLE anglais et Espagnol…et que tous les autres supports sont informatiques…bon, ben autant rester à la maison et lire les journaux sur internet !
So-qui-regrette-de-s’être-abonnée !